Droits et obligations : devoir d'obéissance et ordre manifestement illégal

Droits et obligations : devoir d'obéissance et ordre manifestement illégal

Dans les rouages de l'administration publique, les fonctionnaires jouent un rôle crucial, assurant le bon fonctionnement des services. Toutefois, au coeur de leurs responsabilités se trouvent des dilemmes éthiques, notamment celui du devoir d'obéissance hiérarchique face à un ordre manifestement illégal. Cette tension soulève des questions sur les droits et les obligations des fonctionnaires.


Employé par une communauté de communes, un fonctionnaire est en charge notamment de préparer les documents permettant à la collectivité de facturer les charges aux professionnels de santé de ses maisons de santé intercommunales.

 

Un jour, il s’aperçoit qu’il y a une erreur dans la formule de calcul des charges. La conséquence est que les professionnels déjà installés paient les charges de l’ensemble de la surface de leur maison de santé, et non seulement la surface de leurs cabinets respectifs. Ceci a des conséquences financières dans les maisons de santé où il reste des cabinets médicaux à pourvoir, car les professionnels déjà présents paient beaucoup plus cher.

 

Instantanément, il alerte sa hiérarchie. Et il contacte en parallèle l’agente contractuelle qui était à son poste avant, depuis démissionnaire. Elle lui indique qu’après avoir alerté, elle aussi, la direction générale de cette petite collectivité de moins de 100 agents, elle avait été isolée puis ostracisée par cette même direction générale.

 

Cette dernière ne lui fait aucun retour par écrit, mais lui indique, oralement qu’il doit facturer avec la formule erronée.

 

Comprenant qu’il s’agit manifestement d’une fraude, le fonctionnaire s’interroge : a-t-il le droit de refuser d’obéir malgré le devoir d’obéissance hiérarchique ? Son éthique d’agent public se trouvant quelque peu bousculée, il saisit le déontologue du centre de gestion du département de sa collectivité.

 

Dans sa réponse, le déontologue rappelle initialement l’article L.121-10 du Code général de la fonction publique, qui dispose que : « L'agent public doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. »

 

Il y a deux corolaires à ce devoir d’obéissance, comme le souligne le déontologue, en citant l’article L.121-9 du même code  :

  • L’agent public est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées,
  • Il n’est pas dégagé des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de ses subordonnés.

Le second point signifie que la directrice générale et le directeur général adjoint, qui lui ont intimé cet ordre en connaissance de cause de la fraude, sont responsables de cet acte manifestement illégal. Le sachant, ils n’ont pas écrit explicitement l’ordre. Et autant le fonctionnaire tentait d’exercer ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité, conformément à l’article L.121-1 de ce code, autant sa direction générale ne respectait pas l’article L.124-1 : « Il appartient à tout chef de service de veiller au respect de ces principes dans les services placés sous son autorité. »

 

Dans l’article L.121-10 détaillant le devoir d’obéissance, il y a une double condition pour justifier un refus d’obéissance : 

  • Il faut que l’ordre soit « manifestement illégal » 
  • Il faut qu’il « compromette gravement un intérêt public ».

Le déontologue ayant répondu à la question de l’ordre manifestement illégal, il poursuit avec la question suivante : l’ordre donné compromet-il gravement l’intérêt public ? La réponse est négative puisqu’il n’y a pas d’atteinte à personne ni de mise en danger d’autrui ou de l’environnement.

 

Le déontologue cite les décisions de la cour administrative d’appel de Lyon du 24 octobre 2017 (n°16Y00300) et de la cour administrative de Versailles dans son arrêt du 15 mars 2018 (n°16VE03904)  qui précisent que l’illégalité de l’ordre ne suffit pas à légitimer le refus d’obéissance s’il n’y a pas de compromission grave de l’intérêt public. 

 

Le principe hiérarchique prévaut sur le principe de légalité, en dehors des cas de compromission grave de l’intérêt public ou lorsque sont en cause les prérogatives ou le statut des fonctionnaires.

 

En bref, ce fonctionnaire doit appliquer cet ordre manifestement illégal sous peine de sanction disciplinaire.

 

Enfin, le déontologue s’interroge sur l’obligation de saisir le Procureur de la République au titre de l’article 40 du Code pénal, comme décrite dans l’article L.121-11 du Code général de la fonction publique. La fraude organisée aux baux de maisons intercommunales de santé est-elle un délit. Sans répondre explicitement, il rappelle que l’exercice du droit de location est très encadré.

 

L’agent, par ailleurs échaudé par le refus de la direction générale de remplacer des organes de sécurité d’autres bâtiments gérés par cette communauté de commune, et désappointé par la réaction du président de cette intercommunalité, qu’il avait pris soin de mettre au courant des pratiques de sa direction générale, a fait une demande de disponibilité pour convenances personnelles.

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