Insuffisance professionnelle : la Cour administrative rappelle le principe du licenciement

Insuffisance professionnelle : la Cour administrative rappelle le principe du licenciement

La récente décision de la cour administrative d'appel de Bordeaux apporte un éclairage important sur les critères et les procédures à respecter en matière de licenciement pour insuffisance professionnelle dans la fonction publique. Cette décision souligne l'exigence de preuves tangibles et la nécessité d'une évaluation objective des performances des agents publics.


L'insuffisance professionnelle se caractérise par l'inaptitude à exercer les fonctions d'un grade par rapport aux exigences de capacité que l'employeur est en droit d'attendre d'un fonctionnaire de ce grade. Contrairement à la faute disciplinaire, qui repose sur des éléments de faits faciles à identifier, la qualification d'insuffisance professionnelle relève d'une appréciation nettement plus subjective.

 

Le fonctionnaire qui fait preuve d'insuffisance professionnelle peut être licencié, après observation de la procédure prévue en matière disciplinaire (art. L. 553-2 code général de la fonction publique). La CAP est obligatoirement consultée en cas de licenciement pour insuffisance professionnelle (art. 37-1 décret n°89-229 du 17 avril 1989). C'est dans ce contexte que l'arrêt de la Cour Administrative d'Appel de Bordeaux (2ème chambre, 29/02/2024, 21BX00437) vient préciser les conditions du licenciement.

 

Critères du licenciement pour insuffisance professionnelle


Le licenciement pour insuffisance professionnelle doit être fondé sur des éléments concrets démontrant l'incapacité d'un agent à exercer ses fonctions de manière satisfaisante. Il ne peut s'agir d'une simple carence ponctuelle ou d'une appréciation subjective de ses compétences. La décision doit se baser sur des faits avérés et documentés, illustrant une inaptitude durable à remplir les tâches assignées. Les preuves doivent démontrer que les insuffisances constatées sont récurrentes et significatives.

 

Importance des évaluations régulières et objectives


Les évaluations régulières et objectives des agents jouent un rôle crucial. Elles permettent de mesurer la performance de manière transparente et de repérer les éventuelles insuffisances. Les rapports d'évaluation doivent refléter les compétences techniques, la capacité à travailler en équipe, la gestion des projets et les aptitudes managériales selon les missions de l'agent. Une évaluation positive, récente et détaillée peut remettre en question la validité d'un licenciement pour insuffisance professionnelle. Il est essentiel que ces évaluations soient effectuées par des supérieurs hiérarchiques compétents et qu'elles incluent des critères objectifs et mesurables.

 

Impact des conditions de travail et des moyens disponibles


Les conditions de travail et les moyens mis à disposition des agents sont également des éléments déterminants. Un agent ne peut être tenu responsable de problèmes résultant d'un manque de ressources humaines ou matérielles. Les difficultés structurelles ou organisationnelles de l'institution doivent être prises en compte lors de l'évaluation de la performance individuelle. 

 

Respect des procédures légales


Le respect des procédures légales est impératif. Les décisions de licenciement doivent être prises en conformité avec les lois et règlements en vigueur, incluant les signatures requises et les notifications appropriées. Toute irrégularité procédurale peut entraîner l'annulation de la décision de licenciement. Les employeurs doivent s'assurer que toutes les étapes du processus disciplinaire sont correctement suivies, incluant la possibilité pour l'agent de présenter sa défense.

 

Gestion des tensions internes


Les tensions internes au sein d'une institution ne doivent pas être automatiquement imputées à une insuffisance professionnelle. Des problèmes de climat social ou des difficultés relationnelles peuvent avoir des causes multiples et complexes, souvent indépendantes de la seule action de l'agent concerné. Il est essentiel de distinguer les responsabilités individuelles des problématiques institutionnelles plus larges. 

 

Conclusion de la Cour administrative 


La décision de la cour administrative d'appel renforce les principes d'équité et de rigueur dans la gestion des ressources humaines publiques. Elle rappelle aux employeurs publics l'importance d'une évaluation juste et documentée des performances, et le respect strict des procédures légales. Cette décision constitue un rappel que les agents publics, comme tout salarié, ont droit à une gestion transparente et équitable de leur carrière, où les décisions de licenciement doivent être prises sur des bases solides et justifiées.

 

Perspectives avec le projet de Loi fonction publique


En lien avec cette jurisprudence, il est pertinent de mentionner que le projet de Loi sur la fonction publique, prévu pour le deuxième semestre 2024, pourrait apporter des précisions supplémentaires sur certains aspects. Les procédures pour licenciement pour insuffisance professionnelle sont déjà régulièrement utilisées par les employeurs territoriaux. On peut se demander pourquoi il y a nécessité à réformer une procédure en laissant penser qu'elle n'existerait pas déjà! 

 

Si des améliorations du texte devaient être faites, elles devraient porter sur l'amélioration des garanties pour les agents (garanties procédurales mais aussi encadrement de la notion d'insuffisance professionnelle). On peut également s'étonner de la procédure menée qui est de nature disciplinaire alors que l'insuffisance professionnelle relève plutôt d'une inaptitude à occuper un poste, proche d'une forme de handicap. La question du devenir de l'agent doit être posée. Une insuffisance professionnelle est une inaptitude à occuper un poste et doit être traitée en conséquence. En cas de licenciement , la question de la prise en charge de l'allocation de retour à l'emploi (ARE) par la collectivité doit être clairement mentionnée dans le dispositif.

 

Si l'intention du gouvernement est de moderniser la gestion des ressources humaines dans la fonction publique, les dispositifs doivent être encadrés tant pour les droits de l'employeur que ceux des agents. Ainsi, nous souhaitons également de nouvelles garanties procédurales pour les agents faisant l'objet de mesures destinées à les écarter de leur emploi (cas des mutations forcées dans l'intérêt du service). La notion d'intérêt du service n'est définie par aucun texte et donne lieu à des abus de la part des employeurs territoriaux.

 

En matière d'insuffisance professionnelle, l'UNSA Territoriaux souhaite que soit créé un dispositif spécifique différent de la procédure disciplinaire car l'insuffisance professionnelle n'est pas un acte disciplinaire mais bien un constat d'inaptitude qui devrait faire intervenir obligatoirement l'avis du médecin du travail voire d'un rapport d'expertise par un médecin spécialiste en cas de pathologie avérée.

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Pour ce qui des procédures disciplinaires, l'UNSA Territoriaux propose que soit mis en place un "droit à l'oubli" des conséquences des sanctions, quelle que soit leur gravité, sans excéder trois ans contre dix ans actuellement pour les sanctions à compter du deuxième groupe, ce qui est manifestement excessif et va à l'encontre des politiques répressives qui privilégie le droit à l'oubli.

 

Nous souhaitons également que les enquêtes administratives fassent l'objet d'un encadrement juridique tant sur la qualité des personnes habilitées à les mener que sur le droit pour la personne, centre de l'enquête, à pouvoir à être informé des faits reprochés et de son droit à être auditionner s'il y a lieu avec l'assistance d'un défenseur syndical ou d'un avocat.